Nous arrivons à Kilimli, une petite ville paisible sur les bords de la Mer Noire, tard en fin de journée, après avoir parcouru une petite dizaine de kilomètres sur une route en travaux qui le restera sûrement pour l’éternité. Le maire aurait entrepris de construire cette route qui longe la mer –alors que ça jumelle passe à travers les collines à quelques dizaines de mètres de là- sans se faire conseiller outre mesure sur la façon dont il fallait s’y prendre. Dynamitées n’importe comment, les falaises rendent maintenant l’aménagement de la route impossible.
Nous arrivons devant le seul hôtel de Kilimli, massif, bétonné et gris ; sans aucun charme pour ainsi dire, situé à proximité d’une station-service. J’y rentre pour me renseigner sur les prix. Personne ne parle anglais à la réception. Un turc d’une cinquantaine d’années m’entend depuis l’escalier baragouiner en turc avec la réceptionniste. Par chance, il parle anglais et me vient en aide. Il me demande d’où je viens, ce que je cherche.
-Une nuit d’hôtel… Pas chère.
Il discute avec la réceptionniste, me demande si nous sommes mariés avec Antoine –je réponds par l’affirmative. J’apprendrai par la suite que celle-ci aurait refusé de nous louer une chambre si nous ne l’étions pas, craignant une descente de police! Il m’annonce le prix pour une chambre double après négociation : 30 euros. Hors de prix pour notre budget. Je regarde mon interprète, dépitée. Il me propose immédiatement d’appeler un de ces collèges qui travaille sur le même chantier que lui et qui pourrait sûrement nous loger. Mon visage s’illumine. Quelques minutes plus tard, nous sommes sur les sièges arrière d’un vieux pick-up, les vélos callés à l’arrière, en direction de l’appartement dudit collègue. Tous deux, ingénieurs en travaux publics, travaillent sur le chantier de ce qui sera le plus grand port turc situé sur la Mer Noire, à quelques kilomètres de là. Onder est père de famille, fou de musique classique. Il arbore une superbe moustache. Le second est un jeune ingénieur en explosif de 24 ans. Malheureusement, ce dernier ne parle pas anglais. Nous sommes samedi soir, nous buvons quelques bières, discutons, dînons, une chaîne de sport en musique de fond. À plusieurs reprises, Onder, paternaliste, me dit qu’il est l’heure d’aller dormir, qu’une longue journée m’attend le lendemain. À 23h, nous éteignons la lumière et nous endormons, les matelas étendus sur le parquet au milieu du salon, emmitouflés dans nos duvets.
Onder nous réveille le lendemain matin. Je regarde mon réveil qui n’a pas encore sonné. Il est 6h20! Le réveil est difficile. Nous prenons quelques minutes pour nous lever. Un café turc, un œuf au plat et nous voilà repartis. Nous effectuons quelques mètres. Antoine sent branler son porte-bagages. En effet, il a perdu un écrou et un boulon. J’inspecte le mien. J’ai carrément perdu une pièce! Déçus et soulagés à la fois, nous décidons de ne pas prendre la route avec les vélos dans cet état. Nous appelons Onder depuis une cabine et le rejoignons. Il profite de son dimanche matin pour bruncher avec son ami de 30 ans son benjamin. Le buffet est pantagruélique et à volonté. Nous buvons un tchaï pendant qu’ils finissent de déjeuner. À peine terminé, ils nous emmènent chez le mécanicien du coin, réparateur de motocyclette mobylette bicyclette. Un clope au bec, celui-ci nous usine la pièce manquante, nous revisse quelques boulons et graisse nos chaînes. Nous le regardons tous les yeux ébahis. Onder me parle de tout, de rien, sautant du coq à l’âne : les problèmes de santé de sa femme, de son amour pour la musique classique, des expériences menées en apesanteur. La matinée tire à sa fin quand nous sommes prêts à repartir. Mais la flemme nous envahit. Un train à 14h nous permettra de rejoindre notre destination du soir : Caycuma. D’ici là, Onder, Antoine et moi retournons boire un tchaï en bord de mer. Puis deux, puis trois. Nous discutons, ou plutôt écoutons Onder nous expliquer ses craintes quant à l’avenir de son pays natal. Militant de gauche activiste à la fin des années 1960 et bien après, il perdit nombre de ses proches, assassinés parce que militants socialistes. Aujourd’hui père de famille (sa femme vit à Izmir, son fils pianiste à Ankara et sa fille violoniste à Istanbul) il n’est plus l’activiste qu’il était. La Turquie est un pays « laïque », avec à sa tête un parti islamique modéré. Pourtant, l’Etat rémunère les imams à la tête des 80 000 mosquées réparties sur tout le territoire et le port du voile se généralise –souvent par pression familiale. Il est déçu, écoeuré. « On a perdu » nous dit-il. Il finit par nous accompagner à la gare, nous met dans un train et nous laisse poursuivre notre chemin.
Nous arrivons devant le seul hôtel de Kilimli, massif, bétonné et gris ; sans aucun charme pour ainsi dire, situé à proximité d’une station-service. J’y rentre pour me renseigner sur les prix. Personne ne parle anglais à la réception. Un turc d’une cinquantaine d’années m’entend depuis l’escalier baragouiner en turc avec la réceptionniste. Par chance, il parle anglais et me vient en aide. Il me demande d’où je viens, ce que je cherche.
-Une nuit d’hôtel… Pas chère.
Il discute avec la réceptionniste, me demande si nous sommes mariés avec Antoine –je réponds par l’affirmative. J’apprendrai par la suite que celle-ci aurait refusé de nous louer une chambre si nous ne l’étions pas, craignant une descente de police! Il m’annonce le prix pour une chambre double après négociation : 30 euros. Hors de prix pour notre budget. Je regarde mon interprète, dépitée. Il me propose immédiatement d’appeler un de ces collèges qui travaille sur le même chantier que lui et qui pourrait sûrement nous loger. Mon visage s’illumine. Quelques minutes plus tard, nous sommes sur les sièges arrière d’un vieux pick-up, les vélos callés à l’arrière, en direction de l’appartement dudit collègue. Tous deux, ingénieurs en travaux publics, travaillent sur le chantier de ce qui sera le plus grand port turc situé sur la Mer Noire, à quelques kilomètres de là. Onder est père de famille, fou de musique classique. Il arbore une superbe moustache. Le second est un jeune ingénieur en explosif de 24 ans. Malheureusement, ce dernier ne parle pas anglais. Nous sommes samedi soir, nous buvons quelques bières, discutons, dînons, une chaîne de sport en musique de fond. À plusieurs reprises, Onder, paternaliste, me dit qu’il est l’heure d’aller dormir, qu’une longue journée m’attend le lendemain. À 23h, nous éteignons la lumière et nous endormons, les matelas étendus sur le parquet au milieu du salon, emmitouflés dans nos duvets.
Onder nous réveille le lendemain matin. Je regarde mon réveil qui n’a pas encore sonné. Il est 6h20! Le réveil est difficile. Nous prenons quelques minutes pour nous lever. Un café turc, un œuf au plat et nous voilà repartis. Nous effectuons quelques mètres. Antoine sent branler son porte-bagages. En effet, il a perdu un écrou et un boulon. J’inspecte le mien. J’ai carrément perdu une pièce! Déçus et soulagés à la fois, nous décidons de ne pas prendre la route avec les vélos dans cet état. Nous appelons Onder depuis une cabine et le rejoignons. Il profite de son dimanche matin pour bruncher avec son ami de 30 ans son benjamin. Le buffet est pantagruélique et à volonté. Nous buvons un tchaï pendant qu’ils finissent de déjeuner. À peine terminé, ils nous emmènent chez le mécanicien du coin, réparateur de motocyclette mobylette bicyclette. Un clope au bec, celui-ci nous usine la pièce manquante, nous revisse quelques boulons et graisse nos chaînes. Nous le regardons tous les yeux ébahis. Onder me parle de tout, de rien, sautant du coq à l’âne : les problèmes de santé de sa femme, de son amour pour la musique classique, des expériences menées en apesanteur. La matinée tire à sa fin quand nous sommes prêts à repartir. Mais la flemme nous envahit. Un train à 14h nous permettra de rejoindre notre destination du soir : Caycuma. D’ici là, Onder, Antoine et moi retournons boire un tchaï en bord de mer. Puis deux, puis trois. Nous discutons, ou plutôt écoutons Onder nous expliquer ses craintes quant à l’avenir de son pays natal. Militant de gauche activiste à la fin des années 1960 et bien après, il perdit nombre de ses proches, assassinés parce que militants socialistes. Aujourd’hui père de famille (sa femme vit à Izmir, son fils pianiste à Ankara et sa fille violoniste à Istanbul) il n’est plus l’activiste qu’il était. La Turquie est un pays « laïque », avec à sa tête un parti islamique modéré. Pourtant, l’Etat rémunère les imams à la tête des 80 000 mosquées réparties sur tout le territoire et le port du voile se généralise –souvent par pression familiale. Il est déçu, écoeuré. « On a perdu » nous dit-il. Il finit par nous accompagner à la gare, nous met dans un train et nous laisse poursuivre notre chemin.
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