dimanche 30 août 2009

La Perse d aujourd hui

25 jours. C est la durée du visa que le ministère des affaires étrangères iranien daigne nous accorder, depuis le consulat de Tbilissi, Georgie. Visa obtenu en dix jours, sans passer par une quelconque agence de tourisme –autrement dit sans frais supplémentaire. Nous sommes officiellement –pour l Etat iranien, j entends- professeurs des écoles à Niort –Anne a l école de la Mirandelle et Antoine à Ferdinand Buisson- et sans aucun lien de parente. Deux banals potes en voyage en Iran. En effet, il n est pas conseillé de déclarer son métier de photographe -souvent assimilé a celui de journaliste- en période pré-élection, ni recommandé de revendiquer être concubins dans un pays ou ce statut est interdit par la loi.
Le 12 juillet, nous passons la frontière entre l Arménie et l Iran a bicyclette. Anne revêt son foulard islamique entre les deux postes frontières. Elle porte un pantalon long et une chemise a manches longues. Il fait très chaud. 35 degrés aux bas mots. Nous appréhendons. Quelques semaines auparavant ont eu lieu les élections présidentielles. La réélection de Mahmoud Ahmadinejad fait descendre dans la rue les militants de l opposition dans de nombreuses villes du pays. La police réprime les manifestations dans le sang. Les informations relayées par les medias occidentaux sur le sujet ne sont pas très engageantes –évidemment… Nous appelons l ambassade de France à Téhéran pour avoir leur avis. Les consignes sont claires, ils n ont pas le droit de se prononcer. Nous entrons donc en Iran, effrayés et attirés à la fois, les tripes un peu nouées. Mais nous voulons en savoir un peu plus sur ce mystérieux pays diabolisé par l Occident. Nous nous imposons de ne pas sortir des sentiers battus en cette période de trouble politique –a tord peut-être.
Nous rejoignons Téhéran dans un premier temps. Ville folle. Environ 15 millions d habitants. Des bâtiments pour la plupart noircis par les gaz d échappement. Des enseignes, en farsi, incompréhensibles. Des immenses portraits des grandes figures de la République Islamique, Khomeini, chef suprême des chiites d Iran, et son successeur Khamenei ponctuant le paysage urbain. Des soldats, morts en martyrs pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988) eux aussi représentés sur des pans entiers d immeubles. Ca nous fait froid dans le dos.
La circulation est frénétique. Sans même regarder dans leur rétroviseurs, les conducteurs téhéranais se faufilent entre les voitures, créant une troisième voie imaginaire, voire une quatrième, la ou il n en existe que deux. A toute berzingue ils s élancent sur les avenues, peu soucieux du danger qui les guettent au coin de chaque rue.
Son bazar est un interminable dédale de ruelles reliant des caravansérails ou se côtoient des propriétaires d échoppes en tout genre (tapis, casseroles, …). Le conservatisme des commerçants, tant sur les plans politique que religieux est palpable. Nous apercevons des portraits des leaders du clergé chiite dans presque toutes les boutiques. Les iraniens nous saluent, nous demandent d ou nous venons, nous invitent à boire un thé parfois.
Les parcs sont d immenses étendues d herbe parsemées d arbres, de plantations de fleurs et de fontaines superbement entretenus. Les jeudis et vendredi soirs, en été, les téhéranais s y retrouvent en famille jusque tard dans la nuit autour d un tchai ou d un repas organisé sur un tapis déplié a la va-vite. On y croise des hommes et des femmes –vêties du tchador, ce tissu noir qui couvre de la tête au pied- jouant au badminton.
En dehors des parcs, les jeunes disposent de très peu de lieux ou se retrouver. Les quelques bars (ou l on ne sert pas d alcool évidemment) pratiquent des tarifs prohibitifs. Des soirées privées sont organisées, en toute illégalité. L alcool se procure au marché noir. Une trentaine de dollars pour une bouteille de vodka, sept pour une bouteille de bière. Une large proportion de la population ne s accorde pas sur le fanatisme des mollahs, qui n a d égal que leur hypocrisie, au risque de subir des coups de fouets.
Les jeunes, le week end, sillonnent donc la ville en voiture toute la soirée durant, jouissant pendant quelques heures d un espace de liberté -réduit. Dans les voitures, nous voyons quelques voiles nonchalamment rejetés vers l arrière, prêts a tomber. Certaines abandonnent même leur foulard et dévoilent une coiffure sophistiquée, en plus d un visage maquillé avec soin. Nous sommes a mille lieux de l image conservatrice et traditionaliste que le pouvoir semble peiner a imposer, a Téhéran du moins. Hommes et femmes, pas nécessairement d une même famille, se côtoient ainsi, se draguent même.
Dans cette société réprimée par les Gardiens de la Révolution islamique, les jeunes ne peuvent s échanger que quelques regards et au mieux, discrètement, leurs numéros de téléphone portable.

Nous descendons par la suite a Espahan a quelques 500 kilomètres au sud. Majestueuse, elle compte –parait-il- parmi les plus belles villes du monde islamique. Elégante, elle nous initie au raffinement de la culture persane. La place de l Imam est profondément marquée par la grandeur des idées de Shah Abbas 1er, dit Le Grand qui a partir de la fin du 16eme siècle éleva Espahan au rang de capitale de l Empire Perse Séfévide (a la fin du 18eme siècle, la capitale est transférée a Shiraz). Longue de 512 mètres et large de 163, elle présente des joyaux d architecture persane: la mosquée de l Imam, majestueuse, ornée de mosaïques de faïences bleues représentant de magnifiques motifs géométriques, calligraphiés et floraux, surplombée de deux minarets turquoises. La mosquée Sheik Lotfollah, plus petite, harmonieuse, semble faire contrepoids a l exubérance de la première. Sans cour ni minaret, elle frappe par la délicatesse de son architecture.

Enfin, nous parcourons tour a tour Yazd, au sud-est, en bordure de désert puis Shiraz, plus a l ouest. De retour a Téhéran, nous récupérons notre visa ouzbek et filons pour Mashad puis le Turkmenistan. A nous l Asie Centrale!

lundi 10 août 2009

Chronique d Iran. Ou et comment j ai porte un tchador.

Nous venons tout juste d obtenir nos visas ouzbeks, a Teheran. C est donc nos visas en poche que nous partons pour Mashad, au nord-est de l Iran, a quelques centaines de kilometres du Turkmenistan, pour demander notre visa de transit turkmene. Des on-dits -relates par des voyageurs rencontres sur la route- nous dissuadent de formuler notre demande a Teheran ou nombreux sont ceux qui essuient des refus ces derniers temps. Nous prenons donc un bus pour Mashad. 14 heures de bus. Celui-ci n est pas d un confort cinq etoiles. Nous partons de Teheran vers 17h. La sortie de cette capitale tentaculaire s avere etre le parcours du combattant. La circulation est chaotique. On dira ce qu on veut, les conducteurs teheranais sont un peu fous; sans meme regarder dans leur retroviseurs, ceux-ci se faufilent entre les voitures, creant une troisieme voie imaginaire, voire une quatrieme, la ou il n en existe que deux. A toute berzingue ils s elancent sur les avenues, peu soucieux du danger qui les guete au coin de chaque rue. Apres avoir quitte la ville, nous parcourons une vallee aux nuances ocres et rouilles. Le soleil disparait doucement derriere les montagnes. Bientot, il fera nuit noire. J ai faim. Nous n avons pour ainsi dire rien avale de la journee et je suis affamee. Nos voisins de fauteuils situes de l autre cote de l allee, deux freres, sortent deux gigantesques casse-croutes de leurs sacs qui me font saliver. Je les observe les devorer avec envie, tandis qu Antoine et moi partageons nos derniers gateaux secs. Quelques heures plus tard, a mon grand bonheur, nous nous arretons. Les femmes se precipitent aux toilettes. Il me faudra jouer des coudes devant ceux-ci pour pouvoir me soulager aussi. Quelques familles deplient des tapis et s installent pour diner dehors. Antoine et moi courons vers le restaurant, sorte de relais routier ou la nourriture est familiale et bon marche. Deux khoreshts (ragout de viande et legumes servi avec du riz) s il vous plait. Cinq minutes plus tard, nous devorons a notre tour un diner servi dans une petite barquette individuelle en plastique. Nous remontons dans le bus et nous endormons paisiblement. Le lendemain matin, des l aube, nous arrivons a Mashad. Nos deux voisins de fauteuils nous abordent a le descente du bus, nous demandent ou nous logeons. Nous leur indiquons notre point de chute, un petit hotel recommande par notre guide de tourisme. Leur pere, qui les attendait de pied ferme a la gare routiere, leur glisse un mot en farsi. Immediatement apres, ils nous convient chez eux. Nous acceptons l invitation. Arrives chez nos hotes, leur mere, qui ne porte pas le voile islamique quand nous passons le pas de la porte, m invite rapidement a enlever le mien. Soulagement. Nous nous installons autour d un petit dejeuner. Tchai, pain, beurre, miel, confiture, fromage. Qu il est bon de se retrouver dans un environnement familial! Le petit dejeuner termine, nous remontons dans la voiture et nous dirigeons vers l ambassade du Turkmenistan. Celle-ci ouvre a 10h30. A 10h32, le clapet d une petite porte s ouvre. Monsieur le consul se tient de l autre cote. Le temps d echanger quelques mots en anglais, quelques documents adminitratifs et quelques sourires -jusqu ici, cette technique a toujours porte ces fruits- et nous repartons direction la maison pour le dejeuner. Leur mere, a qui nous avons confie quelques heures auparavant notre faiblesse pour certains mets iraniens, nous a prepare un succulent ghorme sabzi (ragout de viande, haricots rouges et legumes verts). Elle nous invite a nous asseoir autour de la table et a nous servir. A l inverse de chez nous, l hote ne preside jamais la table. Il s agite en cuisine pour veiller a ce qu il ne manque rien sur la table et ne s assied pas tant que ses invites sont debouts. Le dejeuner termine, chacun s en va siester. Je m ecroule sur le lit, bienheureuse. Nous nous reveillons quelques heures plus tard, reposes. Le temps de nous rendre au mosaulee de Ferdosi, celebre poete farsi ne au 10eme siecle qui relate dans ses poemes l histoire de la mythologie Perse, des origines a la conquete arabe, et nous voila a nouveau a table. Rebelote. Gueuleton. Vers 22h, nous nous preparons pour nous rendre au mosaulee de l Imam Reza (descendant direct du prophete Mohomet, il est le 8eme des 12 Imams chiites reconnus par les musulmans chiites; seuls les Imams sont habilites a interpreter le Coran), haut lieu de pelerinage pour les musulmans chiites du monde entier. Antoine s est vu preter une chemise. Il a l air d un premier de la classe. Pour ma part, la mere me tend un tchador. Dans ce lieu saint de l islam, les femmes ne rentrent pas sans tchador. Me voila bien embarrassee. Je n ai pas la moindre idee de comment l enfiler. Elle me montre. Je l imite. Dans un premier temps, il ne me semble pas inconfortable -quelques heures plus tard, je n aurai q un souhait, retirer ce tissu noir qui m emprisonne, me prive de ma liberte de mouvement et me tient horriblement chaud! Nous voila en voiture, en direction du mosaulee. Il est tard mais la rue est embouteillee. Tout Mashad semble s y rendre. Nous nous garons au milieu d un parking souterrain plein a craquer et rejoignons l enceinte sacree. 75 hectares. C est la surface de cet ensemble, joyaux d architecture persane. Sompteux. Mosquees, minarets, coupoles, madraseh, cours ornees de faillences representant des calligraphies et des motifs floraux. De hauts iwans (hall donnant sur une cour) recouverts d or. Nous sommes ebahis par tant de luxe et de raffinement. A l inverse, les pelerins semblent accorder peu d importance a la beaute du lieu. Ceux-ci viennent avant tout pleurer la mort en martyr de l Imam. Le mosaulee de celui-ci se situe au centre, entoure par des grilles dorees que les pelerins viennent toucher et embrasser avec devotion. J apercois des hommes et des femmes en pleurs. Ceux-ci se bousculent pour approcher le mosaulee. J interroge mes hotes. Qui a edifie ce lieu? Avec quel argent? Ils nous expliquent. Le tombeau original est bati au debut du 9eme siecle par un calife. Detruit a plusieurs reprises, le monument actuel est finalement construit sur l ordre de Shad Abbas au debut du 17eme. Depuis 1928, les batiments autour du mosaulee sont rases les uns apres les autres afin d etendre la surface de ce lieu saint. Les travaux se poursuivent sans interruption grace a l afflux de fonds publics et prives (issus de donations et de concessions funeraires) geres par le biais d une fondation -un veritable empire en Iran. Nous repartons, silencieux. Comme les autres lieux saints que j ai pu visiter -le Vatican, Saint Jacques de Compostelle- je reste perplexe, songeuse.

Yazd, sud-est de l Iran, au milieu du desert.


Desert autour de Yazd, au petit matin


Notre chauffeur




Caravanserail pres de Yazd, Iran.






Yazd, Iran.