Dix dollars. C est ce qu on nous demande de payer pour mettre nos velos dans un bus -pourri qui plus est- tandis que deux billets nous en coutent quatre. Scandalisee, je ne suis pas resignee a lacher le morceau. Jusqu ici, mettre nos bicyclettes dans un bus ne nous a jamais rien coute. Mais ce matin, le chauffeur et le vendeur de billets -qui sont copains comme cochons- ont decide de s en mettre plein les poches grace a nous. Je negocie fermement avec mes quelques mots d iranien. Ils ne veulent rien entendre, nous menacent de nous rembourser nos billets et de redescendre nos bicyclettes chargees sur le toit du bus quelques minutes auparavant. Nous cedons. Il est 8h du matin, nous devons quitter l Iran aujourd hui pour entrer au Turkmenistan et la frontiere ferme en debut d apres midi. Autrement dit, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas prendre ce bus et de faire du cyclo-auto-stop jusqu a la frontiere. Je suis ecoeuree et en colere. Je lance des regards noirs au chauffeur esperant le faire culpabiliser de nous voler nos economies. Nous prenons la route et arrivons vers 11h a Sarakhs, petite ville frontaliere. Il fait une chaleur etouffante: 45 degres. Nous chevauchons nos velos et nous dirigeons vers la frontiere. Cote iranien, tout se passe sans encombre. Personne ne controle nos sacs ni meme ne passe nos bagages aux rayons X. Les douaniers sont courtois et souriants. Nous quittons rapidement ce poste frontiere et traversons une riviere puis un no man's land desertique de quelques centaines de metres. Nous entrons au Turkmenistan. Au second poste frontiere, l accueil est plus froid, plus sovietique. Tout le monde parle russe. Les formalites administratives et les controles sont longs et fastidieux a accomplir. Une des douanieres parle anglais. Elle nous donne des explications sur les documents a remplir. Je fais des ratures et des erreurs sur ma declaration de douane. Elle me la fait remplir une deuxieme fois, puis une troisieme. Ouf, une heure apres, nous quittons le poste frontiere. Nous voila au Turkmenistan, une des plus grandes dictatures de ce monde. Nous n avons pas la moindre idee de ce a quoi ressemble ce pays: desert, petrole, gaz, un president demagogique... La frontiere passee, nous changeons quelques devises puis nous dirigeons vers Saraghs -la jumelle turkmene de Sarakhs. Nous parcourons quelques centaines de metres a bicyclette et nous retrouvons devant un premier dilemme. Une route asphaltee continue tout droit vers le desert. Un chemin part a droite vers ce qui semble etre, de loin, une gare ferroviere avec quelques wagons de marchandises. Nous choisissons le chemin, melange de terre et de sable qui mene vers la gare. Je regarde autour de moi, voir si j apercois un scorpion, une vipere ou une tarentule -il parait que le desert turkmene en est plein- non mecontente de ne pas etre a pied. Nous traversons les rails de chemin de fer en soulevant peniblement nos velos et arrivons devant devant la gare par l entree principale. Une grande statue de Turkmenebachi, litteralement le "chef des turkmenes", trone devant celle-ci. En 1985, a l epoque ou le Turkmenistan est la Republique Socialiste Sovietique du Turkmenistan, Saparmourad Niazov est elu premier secretaire du Parti Communiste du Turkmenistan (CPT) puis president du Soviet Supreme de la Republique en 1990. Contraint a l independance le 27 octobre 1991, le pays se doit d avoir un president. Niasov, determine a rester au pouvoir, rebaptise le CTP Parti Democratique du Turkmenistan et se fait elire au cours d une election a la sovietique (aucun adversaire, 98,3% des suffrages). La constitution, adoptee l annee suivante, institue un systeme presidentialiste et Niasov met en place un culte de la personnalite systematique. C est donc cette statue qui nous accueille et personne d autre. La gare est deserte. Nous avancons doucement. Un premier homme sort de la gare, puis un deuxieme. Nous leur expliquons, notre guide de conversation franco-russe a la main: Nous voulons prendre un train pour Ashgabat, la capitale, aujourd hui.
-Niet.
Pas de train.
-Zaftra? (demain?)
-Niet.
Pas de train, peut-etre dans quelques jours d apres ce que nous comprenons.
-Aftobous? (bus?)
-Niet. Zaftra. 7h.
-Gastinitsa? (hotel?)
-Niet.
Le bus est demain mais il n y a pas d hotel. Comprenant notre desappointement, l un d eux nous convie chez lui pour diner et passer la nuit. Epuisee, je suis un peu reticente. Puis nous acceptons. Murat grimpe sur le cadre de la bicyclette d Antoine. Nous traversons une partie de cette petite ville paisible. Les habitations sont de petites maisons en brique, certaines couvertes de torchis. Enfin, nous arrivons chez lui. Ma premiere impression est celle d un pays pauvre et retarde sur le plan sanitaire. Il n y a pas l eau courante. L eau de pluie est collectee et stockee en sous-sol. Son epouse nous accueille chaleureusement. Vetue d une robe longue coloree, habit traditionnel turkmene, elle m apparait d une elegance et d une sensualite innouie – en comparaison avec les iraniennes dont il est malheureusement souvent difficile de percevoir les formes derriere leur tchador. Murat nous presente ses parents, qui vivent dans une piece attenante a la leur et enfin son fils, 9 ans, le regard taquin. Rapidement, la timidite s efface pour laisser place a une familiarite inattendue. Zhanna, son epouse, m invite a prendre une douche: Une gamelle et une reserve d eau dans un bidon dispose dans une piece dans le jardin permettent de s arroser et de se rincer apres s etre savonne. Une fois propre, nous partons pour le bazar ou nous achetons une pasteque et quelques radis. De retour a la maison, je suis conviee a aider en cuisine. Je ne deborde pas d energie mais m applique a obeir aux ordres. Zhanna decide de preparer un plov (risotto de viande et de carottes cuit a l huile de coton), le plat national, pour nous les voyageurs de passage. Je coupe donc les oignons, puis les carottes. A plusieurs reprises, elle vient me montrer, amusee, combien je suis maladoite et lente dans ma facon de proceder. Elle me rale dessus gentillement, en russe. Je lui reponds en francais. L incomprehension est totale. Nous rions aux eclats. Le plat mijotte sur un rechaud a gaz (le gaz est gratuit au Turkmenistan) directement relie au reseau de distribution municipal. Ces voisines passent tour a tour la visiter. Elle me presente comme une bete curieuse. Elles qui arborent toutes des dents en or, elles sont scandalisees de voir que je ne porte que de vulgaires bagues en metal sur les premolaires -des restes de mon appareil dentaire. Nous rions a nouveau. A la tombee de la nuit, le diner est prêt. Nous mangeons sur une tapchan (structure en bois souvent agrementee de matelas ou l on dort, dine, etc) disposee dehors ce repas lourd –le plov est toujours tres gras- arrose de vodka. Antoine et moi peinons a finir nos verres alors qu elle les enquille a toute vitesse. En trois tournees, la bouteille est terminee. Nous sommes serieusement assommes par l alcool. Les voisins, curieux, se joignent a nous a nouveau. Seance photo. Zhanna me fait passer une de ces plus belles robes turkmenes en velour bleue dont le col est entierement brode a la main. Elle me coiffe d un foulard. J ai l air d une princesse. Puis ils nous prient de monter en voiture. Nous retournons a la gare ferroviaire dont son epoux Murat est le gardien faire quelques photos. Quand nous arrivons la-bas, il trone sur une chaise perchee au premier etage de cette gare flambante neuve qui semble pertuellement deserte. Séance photo, a nouveau, devant la statue doree du chef des turkmenes. Mon appareil photo numerique n a bientot plus de batterie. Nous sommes condamnes a rentrer. Je suis epuisee. Zhanna dispose quelques matelas sur la tapchan, sort des couvertures et nous nous endormons, elle, son fils, Antoine et moi, en rang d oignons sous les etoiles.
-Niet.
Pas de train.
-Zaftra? (demain?)
-Niet.
Pas de train, peut-etre dans quelques jours d apres ce que nous comprenons.
-Aftobous? (bus?)
-Niet. Zaftra. 7h.
-Gastinitsa? (hotel?)
-Niet.
Le bus est demain mais il n y a pas d hotel. Comprenant notre desappointement, l un d eux nous convie chez lui pour diner et passer la nuit. Epuisee, je suis un peu reticente. Puis nous acceptons. Murat grimpe sur le cadre de la bicyclette d Antoine. Nous traversons une partie de cette petite ville paisible. Les habitations sont de petites maisons en brique, certaines couvertes de torchis. Enfin, nous arrivons chez lui. Ma premiere impression est celle d un pays pauvre et retarde sur le plan sanitaire. Il n y a pas l eau courante. L eau de pluie est collectee et stockee en sous-sol. Son epouse nous accueille chaleureusement. Vetue d une robe longue coloree, habit traditionnel turkmene, elle m apparait d une elegance et d une sensualite innouie – en comparaison avec les iraniennes dont il est malheureusement souvent difficile de percevoir les formes derriere leur tchador. Murat nous presente ses parents, qui vivent dans une piece attenante a la leur et enfin son fils, 9 ans, le regard taquin. Rapidement, la timidite s efface pour laisser place a une familiarite inattendue. Zhanna, son epouse, m invite a prendre une douche: Une gamelle et une reserve d eau dans un bidon dispose dans une piece dans le jardin permettent de s arroser et de se rincer apres s etre savonne. Une fois propre, nous partons pour le bazar ou nous achetons une pasteque et quelques radis. De retour a la maison, je suis conviee a aider en cuisine. Je ne deborde pas d energie mais m applique a obeir aux ordres. Zhanna decide de preparer un plov (risotto de viande et de carottes cuit a l huile de coton), le plat national, pour nous les voyageurs de passage. Je coupe donc les oignons, puis les carottes. A plusieurs reprises, elle vient me montrer, amusee, combien je suis maladoite et lente dans ma facon de proceder. Elle me rale dessus gentillement, en russe. Je lui reponds en francais. L incomprehension est totale. Nous rions aux eclats. Le plat mijotte sur un rechaud a gaz (le gaz est gratuit au Turkmenistan) directement relie au reseau de distribution municipal. Ces voisines passent tour a tour la visiter. Elle me presente comme une bete curieuse. Elles qui arborent toutes des dents en or, elles sont scandalisees de voir que je ne porte que de vulgaires bagues en metal sur les premolaires -des restes de mon appareil dentaire. Nous rions a nouveau. A la tombee de la nuit, le diner est prêt. Nous mangeons sur une tapchan (structure en bois souvent agrementee de matelas ou l on dort, dine, etc) disposee dehors ce repas lourd –le plov est toujours tres gras- arrose de vodka. Antoine et moi peinons a finir nos verres alors qu elle les enquille a toute vitesse. En trois tournees, la bouteille est terminee. Nous sommes serieusement assommes par l alcool. Les voisins, curieux, se joignent a nous a nouveau. Seance photo. Zhanna me fait passer une de ces plus belles robes turkmenes en velour bleue dont le col est entierement brode a la main. Elle me coiffe d un foulard. J ai l air d une princesse. Puis ils nous prient de monter en voiture. Nous retournons a la gare ferroviaire dont son epoux Murat est le gardien faire quelques photos. Quand nous arrivons la-bas, il trone sur une chaise perchee au premier etage de cette gare flambante neuve qui semble pertuellement deserte. Séance photo, a nouveau, devant la statue doree du chef des turkmenes. Mon appareil photo numerique n a bientot plus de batterie. Nous sommes condamnes a rentrer. Je suis epuisee. Zhanna dispose quelques matelas sur la tapchan, sort des couvertures et nous nous endormons, elle, son fils, Antoine et moi, en rang d oignons sous les etoiles.
2 commentaires:
Toujours autant de plaisir à lire vos chroniques de voyage.
Des bises !
Art
Cette scène avait l'air d'être particulièrement sympathique! Quel talent dans la manière de raconter tout ça...
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